La valorisation économique du patrimoine :mesure et outils

                            
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sociétés un objectif reconnu par tous les acteurs.
Pour les propriétaires des biens patrimoniaux, privés
ou publics, c’est le moyen de mobiliser les
ressources nécessaires à leur conservation. Pour
beaucoup d’entreprises, c’est la possibilité d’en
retirer des retombées ou d’y puiser les savoir-faire
et les références nécessaires à l’innovation. Pour
les collectivités territoriales, ce peut être une façon
de donner une image positive à leur territoire et
d’améliorer le cadre de vie. Pour l’État enfin, c’est
le moyen d’affirmer une identité qui est plus que
jamais source de cohésion. Ainsi le patrimoine se
retrouve-t-il aujourd’hui au carrefour de multiples
attentes.
Nombreux sont ceux pour lesquels le terme
« valorisation économique » relève d’une approche
dangereuse, notamment au regard d’une tradition
selon laquelle le patrimoine « vaut en soi »
indépendamment des différentes contributions
qu’il apporte à la société. Cette position respectable
ne doit cependant pas empêcher de prendre
en considération les effets économiques, positifs
comme négatifs, qui accompagnent les choix
patrimoniaux. Chaque fois que le patrimoine
contribue au développement artistique, éducatif
ou social de la société, il est source de valeurs :
valeur esthétique, valeur cognitive, valeur d’existence
dont la production implique des mouvements
économiques ; ne pas en tenir compte peut
conduire à de véritables impasses.
Ceci a amené le Dep à confier à Xavier Greffe,
professeur d’économie à Paris-I, une étude pour
apprécier les enjeux économiques de la mise en
valeur du patrimoine, étude publiée récemment
(voir page 8 ci-après). Ce travail comporte à la fois
des analyses sur les spécificités économiques du
patrimoine, véritable écosystème, et sur l’organisation
de sa valorisation en France sous une forte
impulsion de l’État. Il se livre également à une
estimation de la filière patrimoine en termes d’emploi
et à une revue des outils économiques qui
peuvent aider les acteurs à mieux décider et
mieux gérer. Ce sont ces deux derniers apports
qui sont présentés ici.
Pour mesurer la contribution du patrimoine à l’économie,
l’indicateur de l’emploi est privilégié en liaison
avec la préoccupation générale de créer de
nouveaux emplois. L’estimation ainsi obtenue dépasse
de loin les quelque 44 000 emplois directs
si l’on tient compte du tourisme culturel et des secteurs
qui ont recours au patrimoine existant.
Mais ce nombre important d’emplois ne vaut pas
valorisation satisfaisante du patrimoine : les monuments,
publics comme privés, rencontrent fréquemment
des difficultés pour atteindre un équilibre
économique. Certains outils stratégiques
ouvrent alors de nouvelles perspectives à la valorisation
économique : projet de monument, approche
stratégique du prix, mise en oeuvre d’une
démarche marketing, gestion adaptée des différents
services.
De quels indicateurs
de mesure dispose-t-on ?
Le chiffre d’affaires
L’indicateur généralement privilégié
est le chiffre d’affaires net ou la
« valeur ajoutée ». Mais pour le
patrimoine, il s’avère ambigu :
reposant en effet sur les recettes des
entrées et la vente de services annexes,
il dépend donc des prix pratiqués.
Or, l’on sait que les prix
d’entrée dans un lieu patrimonial
sont souvent plus faibles que ce
qu’exigerait la couverture des coûts
pour deux raisons : d’une part, du
fait du nombre limité de leurs visiteurs
ou par suite de coûts de conservation
très élevés, certains lieux
patrimoniaux ne peuvent vivre sans
être subventionnés ; d’autre part,
pour favoriser un accès plus démocratique
aux biens culturels, les
autorités de tutelle décident souvent
de réduire les prix d’entrée en
dessous des coûts correspondants,
parfois jusqu’à la gratuité.
La fréquentation
Un deuxième indicateur, évitant
l’écueil précédent, consiste à s’attacher
au nombre de visiteurs : au
niveau du patrimoine, qu’on le
considère élément par élément ou
dans son ensemble, les chiffres de
fréquentation apparaissent très
significatifs, comme en témoigne
par exemple l’explosion du nombre
des entrées dans un musée à l’occasion
de l’inauguration d’un nouvel
espace ou d’un nouveau service.
Cependant cet indicateur n’est
pas non plus sans ambiguïté car il
est sensible à une multitude de
variables qui ne dépendent pas du
seul patrimoine et risque donc
d’amener à des conclusions hasardeuses
: ainsi, des variations de
coût de transport ou des problèmes
de sécurité peuvent conduire à
l’effondrement des entrées dans un
monument, sans que cela ait à voir
avec la qualité de la conservation,
de la gestion ou des services
offerts.
L’emploi
C’est donc un troisième indicateur
qui sera retenu, celui de l’emploi.
Une raison d’ailleurs plaide en sa
faveur : la nécessité de mobiliser de
nouveaux gisements d’emplois,
une des priorités de la politique
économique et sociale. En effet,
non seulement les activités culturelles
et patrimoniales constituent
en elles-mêmes un réservoir d’emplois,
mais les activités qui se
situent en amont et en aval peuvent
également être considérées comme
d’importantes sources d’emplois.
L’emploi direct
La mesure de l’emploi distingue
un « coeur » et des extensions. On
mesurera ce « coeur » pour nombre
d’emplois mobilisés sur les sites
patrimoniaux pour les ouvrir, y
accueillir les visiteurs et assurer un
certain nombre de travaux d’entretien
courant ; à ce nombre, on ajoutera
les emplois dédiés à l’animation
– directe ou indirecte – des
ressources patrimoniales : les guides-
conférenciers employés par
exemple par les villes et pays d’art
et d’histoire. L’ensemble de ces
emplois directs est de 43 880 pour
les monuments et les musées,
publics et privés.
L’emploi indirect
Une première extension provient
des travaux de conservation ou de
restauration qui sont effectués dans
le patrimoine et mobilisent une
main-d’oeuvre spécialisée d’entreprises
de travaux publics ou d’artisans.
La difficulté est que certaines
de ces entreprises, et surtout certains
artisans, peuvent travailler
simultanément ou successivement
sur des monuments ou des bâtiments
« non patrimoniaux » pour
faire face au rythme des commandes
et des paiements. Il faut
donc ne retenir que la part correspondant
à leur activité patrimoniale
pour estimer correctement le
nombre de ces emplois qualifiés
d’« indirects » : soit 41 714.
Les emplois liés à la filière
du tourisme culturel
La deuxième extension est liée au
fait que l’utilisation du patrimoine
entraîne l’apparition d’emplois
dans l’hôtellerie, le transport ou la
restauration et met ainsi en évidence
une filière rapidement qualifiée
de « filière du tourisme culturel
». Beaucoup d’acteurs locaux
placent de très – voire trop – grands
espoirs dans les potentialités de
cette filière. Une estimation peut en
être faite en partant du nombre de
touristes que l’on peut qualifier de
« culturels », du montant estimé de
leurs dépenses et de la conversion
de telles dépenses en emplois.
Selon une estimation raisonnable,
on évalue à 176 800 le nombre
d’emplois correspondants
.
Les emplois induits
dans les autres industries
La dernière extension part de l’idée
que le patrimoine peut aussi être à
l’origine de services induits : c’est

En matière de patrimoine, disposer
d’indicateurs permet à la société de
mesurer sa contribution au développement
économique, et aux gestionnaires,
d’apprécier les effets
attendus de leurs efforts.